OMS

Médecine traditionnelle et Couverture des Soins de Santé

 

Programme OMS « Santé pour tous d'ici l'an 2000 »

 

La médecine traditionnelle est une expression assez vague désignant en général les pratiques des soins de santé anciennes et liées à une culture qui avaient cours avant l'application de la science aux questions de la santé par opposition à la médecine scientifique moderne officielle ou allopathie.

Le terme de médecine traditionnelle est insatisfaisant parce qu'il implique en gros l'existence d'un ensemble de principes, de connaissances et de compétences, commun à tous les types de médecine traditionnelle et qu'il n'établit aucune distinction entre, d'une part, les systèmes complets et complexes de soins de santé comme l'Ayurveda et, de l'autre, de simples remèdes domestiques.

La médecine traditionnelle a été pratiquée à des degrés divers par toutes les cultures et, parmi d'autres appellations à base culturelle, on peut mentionner la médecine africaine, asiatique ou chinoise.

On utilise fréquemment des synonymes tels que médecine hétérodoxe, parallèle, marginale, non officielle ou empirique.

 

Les tradipraticiens définissent la vie comme étant « l'union du corps, des sens, de l'esprit et de l'âme » et considèrent la santé comme « une association intime du bienêtre physique, mental, social, moral et spirituel».

L'accent est donc mis sur les aspects moraux et spirituels de l'existence ce qui confère une dimension nouvelle au système de soins qui permet à l'homme de se maintenir en bonne santé.

 

La question de savoir comment assurer à chacun et à chaque communauté l'accès aux soins de santé et aux soins médicaux a été l'une des préoccupations majeures des politiciens, des administrateurs, des agents communautaires et des agents de santé dans tous les États qui ont adhéré à l'OMS.

Depuis la création de l'OMS en 1948, les débats à l'Assemblée mondiale de la Santé, dans les Comités régionaux de l'OMS et dans les réunions techniques, reflètent cette préoccupation ainsi que les aspirations, les frustrations et le caractère controversé de certains problèmes qu'elle occasionne.

Les récentes discussions marquées par une nouvelle prise de conscience de l'urgence du problème ont abouti à 1a résolution prise au niveau mondial d'assurer une couverture totale des soins de santé et des soins médicaux d'ici l'an 2000.

 

Tous les citoyens ont droit aux soins de santé et aux soins médicaux de leur choix, et notamment à une maternité sûre, à la croissance et au développement normaux de l'enfant, au maintien de la santé pendant l'âge adulte, à la protection de l'individu et de la communauté contre les risques liés à l'environnement et aux soins médicaux lorsqu'ils sont malades.

Transformer un tel principe en action pratique est une tâche écrasante pour la plupart des pays.

Mais le fait qu'il n'y ait que très peu d'endroits dans le monde où les tradipraticiens n'exercent pas leurs activités, indiquent qu'il existe déjà une forme de couverture de soins de santé qui est acceptable du point de vue culturel à la population locale et qui répond de façon plus ou moins satisfaisante aux problèmes de santé en général.

C'est pour cette raison que l'Assemblée mondiale de la Santé a sérieusement examiné pour la première fois en mai 1976, la contribution de la médecine traditionnelle aux soins de santé communautaires.

Cependant, c'est surtout entre médecins et administrateurs que le débat s'est instauré… Les tradipraticiens souvent négligés voire persécutés, par les autorités, ont exprimé des doutes sérieux quant à ces relations.

Forts de leur pouvoir et de leur savoir et peu impressionnés par la qualité et la couverture des services de santé officiels, ils se trouvent confrontés à un problème qu'un tradipraticien éminent a résumé par la boutade « qui phagocyte qui ? ».

La question est tout à fait pertinente car à l'heure actuelle, on distingue quatre grandes sortes de relations institutionnelles entres services officiels et traditionnels de soins de santé :

–           la première pourrait être appelée une relation de monopole parce qu'elle donne aux praticiens allopathes le droit exclusif d'exercer la médecine ;

–           la deuxième pourrait être appelée une attitude de tolérance, parce que, sans qu'il y ait reconnaissance de la médecine traditionnelle, l'exclusivité de l'allopathie est limitée à des activités de médecine et de soins de santé bien déterminées, les praticiens traditionnels et non officiels pouvant exercer un travail rémunéré dans tous les autres domaines, à condition de ne pas se faire passez pour médecins ;

–           la troisième relation qu'on pourrait appeler parallèle a trait au cas où les praticiens allopathes et les autres systèmes de soins de santé sont officiellement reconnus et prodiguent leurs services à des malades par l'intermédiaire de systèmes égaux mais distincts ;

–           il existe enfin un quatrième système intégré dans lequel les médecines moderne et traditionnelle sont associées dans l'enseignement de la médecine et exercées conjointement dans le cadre d'un service de santé unique.

 

A l'heure actuelle, environ la moitié de la population du globe réside dans des pays dotés de ministères ou de départements responsables de la médecine traditionnelle et dans bien des pays 80 % ou plus de la population des régions rurales sont soignés par des praticiens et des accoucheuses traditionnels. Les relations entre les praticiens des soins de santé officiels et traditionnels revêtent donc une importance particulière même si, dans certains pays, les administrateurs de la santé ne reconnaissent pas l'existence de tels problèmes.

 

Historique

Le système organisé de soins de santé que désigne l'expression « médecine allopathique » n'est qu'un des systèmes médicaux en usage dans les nations et les sociétés les plus avancées sur le plan technique ; les autres médecines le plus fréquemment pratiquées dans ces sociétés sont l'homéopathie et l'ostéopathie mais comme elles intéressent beaucoup moins de médecins, elles ont aussi moins d'importance pour la distribution des soins de santé à l'échelon mondial.

L'allopathie est une méthode thérapeutique qui fait appel à des remèdes provoquant dans l'organisme des effets contraires à ceux que produit la maladie.

L'homéopathie, au contraire, administre, en quantités infinitésimales, des substances qui, absorbées en doses massives, produisent des symptômes analogues à ceux de la maladie traitée. Quant à l'ostéopathie, elle met l'accent sur les manipulations pour corriger les anomalies physiques à l'origine de la maladie et obstacles à la guérison.

 

On ignore à quand remonte exactement la séparation entre l'allopathie, souvent appelée à tort de nos jours «médecine moderne, occidentale ou scientifique», et la médecine traditionnelle ou indigène dont elle dérive.

 

Mais jusqu'au début du 19ème siècle, la médecine consistait exclusivement en ce que nous considérons aujourd'hui comme la médecine traditionnelle. C'est à ce momentlà, après le grand bouleversement philosophique de la Renaissance que le matérialisme scientifique cartésien a été introduit dans toutes les activités humaines et en particulier dans la théorie et la pratique des soins de santé.

La nouvelle conception consistait à soumettre toutes les hypothèses à une vérification empirique et statistique, l'avenir étant envisagé du point de vue de la recherche et de l'organisation. Nécessairement, cette façon de penser a introduit le doute là où auparavant régnait la foi ; la pensée et la logique étaient mises en valeur aux dépens de l'affectif et de l'intuition.

La méthode consistait à diviser les phénomènes complexes en leurs éléments constitutifs et à traiter chacun isolément. Au niveau du diagnostic, cette approche revenait à rechercher une cause unique ; en pharmacologie, à rechercher un principe actif susceptible d'être isolé ; et dans la relation médecinmalade, la recherche d'un traitement efficace de la cause physique des symptômes tendait à exclure tout intérêt approfondi pour la complexité de la vie du malade.

L'application de la méthode scientifique à la médecine et à la santé publique a abouti à des progrès spectaculaires pour toutes les affections où les facteurs matériels tels que l'infection, l'empoisonnement, les blessures, la nutrition ou la propreté personnelle et la salubrité de l'environnement ont un rôle étiologique considérable à jouer.

Mais pour les affections dégénératives, les résultats ont été moins frappants, et pour les affections où les facteurs psychosociaux, affectifs ou spirituels jouent un grand rôle, on peut difficilement dire que la méthode scientifique a apporté des progrès sensibles ; certains soutiendraient même que la situation s'est détériorée.

Le dérèglement psychosomatique étant aujourd'hui l'une des affections les plus courantes, de nombreux milieux remettent en cause la conception et le fonctionnement des services de santé et des services médicaux modernes.

Il convient d'ajouter à cela que ce n'est que dans les pays les plus riches que les services de santé allopathiques modernes ont été en mesure d'assurer une couverture importante de la population, et ce, à un prix qui devient intolérable ; la recherche d'autres solutions semble donc tout à fait d'actualité.

 

L'appui officiel qui est venu sanctionner l'application de la science au bienêtre de l'individu et de la société a fait oublier à la plupart des observateurs les limites du système.

Aujourd'hui, c'est précisément dans les sociétés qui ont une longue expérience de la médecine scientifique qu'un regain sérieux d'intérêt se manifeste pour les aspects holistiques de la santé par la redécouverte des systèmes traditionnels locaux de soins de santé et par l'importation de pratiques traditionnelles de l'étranger.

 

Il est frappant de constater la faible part de la recherche consacrée au système traditionnel de soins de santé et de soins médicaux, même dans les pays où ce système couvre la majorité de la population.

 

Pourtant le regain d'intérêt pour les pratiques traditionnelles en matière de santé, est à la fois une affirmation de l'identité culturelle, et surtout un moyen d'échapper à la courbe exponentielle des coûts des services de santé modernes et d'une réévaluation sérieuse de l'efficacité de nombreuses pratiques traditionnelles au niveau local.

Ce regain d'intérêt pour les systèmes traditionnels et hétérodoxes de soins de santé concerne tous les pays.

Dans les sociétés urbanisées, aux quatre coins du monde, les soins de santé sont fournis par des praticiens officiels et non officiels, et dans certains pays riches l'initiative personnelle suscite un grand intérêt.

Certains grands magasins et aéroports ont installé des sphygmomanomètres permettant à l'utilisateur de mesurer luimême sa pression sanguine ; lorsque celleci ne se situe pas dans les limites normales, il lui est conseillé de consulter un médecin.

Même dans les villes bien desservies par un service gratuit de généralistes, par des hôpitaux et des cliniques, de nombreuses personnes préfèrent avoir recours aux services payants d'un praticien hétérodoxe et ce, pour de multiples raisons.

A part l'inconvénient des salles d'attente combles et la routine des hôpitaux, etc., à part les entretiens apparemment sommaires ou impersonnels avec le médecin, la difficulté de communiquer avec lui et le traitement parfois complexe et inefficace, de nombreux malades estiment que certains aspects de leur maladie ne sont même pas abordés par le système.

Les pères fondateurs de l'OMS ont fort sagement défini la santé comme :

« un état de complet bienêtre physique, mental et social ».

Cette définition correspond à la conception de nombreux grands systèmes de médecine traditionnelle aussi bien sinon mieux qu'à la pratique actuelle de la médecine allopathique.

L'attitude plus détendue de nombreux tradipraticiens, leur intérêt personnel plus marqué, l'attention prêtée au mode de vie, au régime alimentaire, au repos, à l'exercice, aux relations humaines, à la sexualité, voire à des facteurs moraux et spirituels répondent en grande partie au désir du malade d'être compris.

 

Quel que soit le point de vue de l'administrateur de la santé et d'où qu'il vienne, le fait est que les soins de santé et les médecines traditionnelles et hétérodoxes existent et jouissent de la confiance d'une grande partie de la population.

Il s'agit pour les administrateurs de la santé de savoir comment utiliser cette confiance et la sagesse accumulée pendant des millénaires pour améliorer la santé de la population.

 

Pour compléter l'information épidémiologique type, les autorités sanitaires qui souhaitent incorporer les tradipraticiens dans les ressources disponibles pour étendre la couverture des soins de santé à l'ensemble de la population devraient déterminer le nombre et la localisation de ces praticiens, les méthodes diagnostiques et thérapeutiques employées, le rôle et les fonctions qu'ils remplissent dans leurs états respectifs, la formation et l'orientation qu'ils ont éventuellement reçues, ceux qui seraient aptes à collaborer ou à être intégrés au système général et les types de formation et d'orientation nécessaires pour améliorer leurs services.

L'analyse de ces données pourrait indiquer l'impact des services donnés par ces tradipraticiens ou praticiens hétérodoxes sur la santé communautaire et nationale générale.

Certains Etats Membres se sont déjà lancés dans ce gigantesque projet.

 

OMS mai 1986.